📭 3 mai 2012
Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire.
📭 27 décembre 2012
Il faut créer un état où nul ne soit assez riche pour en acheter un autre et où nul ne soit assez pauvre pour être contraint de se vendre.
📭 15 mars 2013
En physique une découverte (type 4ème révolution copernicienne) nous fait prendre conscience de notre inconnaissance du réel.
📭 6 avril 2013
Si la démocratie a autant de mal à s’installer dans la société occidentale ce n’est pas en raison d’un problème dans l’idée de démocratie mais à cause des individus qui ne veulent pas de la démocratie. On ne bâtit pas un état démocratique sans d’abord des citoyens démocratiques.
📭 10 avril 2013
La religion est l’art d’enivrer les hommes de l’enthousiasme. Pour les empêcher de s’occuper des maux, dont ceux qui les gouvernent les accablent ici-bas.
📭 14 avril 2013
Savoir faire, faire faire, faire savoir.
📭 26 avril 2013
Nos espérances, sur l’état à venir de l’espèce humaine, peuvent se réduire à ces trois points importants: la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple; enfin le perfectionnement de l’homme. Il arrivera donc, ce moment ou le soleil n’éclairera plus, sur la terre que des hommes libres et ne reconnaissant d’autre maître que leur raison.
📭 2 mai 2013
Le processus va commencer au milieu du XVIIIe siècle et il aura pour symbole l’énorme entreprise de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. L’Encyclopédie est saluée à juste titre comme un phare de la modernité parce qu’elle en a formulé et diffusé tous les thèmes majeurs : liberté de la pensée, indépendance de la recherche scientifique, critique de la pensée religieuse et de la traditionnelle volonté d’exploitation des résultats de la science mise au service des techniques et des métiers (songeons aux centaines de planches techniques qui constituent la grande originalité de l’Encyclopédie). Enfin l’Encyclopédie a été un organe de propagande au service de la démocratie et des droits de l’homme, un brûlot dirigé contre l’Ancien Régime.
📭 12 mai 2013
Celui qui parle tout seul passe pour un fou, celui qui chante tout seul est simplement gai! Alors chantez et vous serez joyeux.
📭 16 août 2013
Ce qui est ne peut pas ne pas être. Tout ce qui se produit ne peut pas être autrement.
📭 9 septembre 2013
S’opposer en composant et se poser éternellement.
📭 2 novembre 2013
Comment comprendre la différence dans la répétition!
📭 24 décembre 2013
Ma prétention est de vous montrer que l’égalité d’éducation n’est pas une utopie : que c’est un principe ; qu’en droit, elle est incontestable et qu’en pratique dans les limites que je dirai, et en vertu d’une expérience décisive que j’ai principalement pour but de vous faire connaître, cette utopie apparente est dans l’ordre des choses possibles. […]
L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie. […] Je ne viens pas prêcher je ne sais quel nivellement absolu des conditions sociales qui supprimerait dans la société les rapports de commandement et d’obéissance. Non, je ne les supprime pas : je les modifie. Les sociétés anciennes admettaient que l’humanité fût divisée en deux classes : ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; tandis que la notion de commandement et de l’obéissance qui convient à une société démocratique comme la nôtre, est celle-ci : il y a toujours, sans doute, des hommes qui commandent, d’autres hommes qui obéissent, mais le commandement et l’obéissance sont alternatifs, et c’est à chacun son tour de commander et d’obéir. […]
Enfin, dans une société qui s’est donnée pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes. Je vous le demande de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d’éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle, il n’y a plus de distinction de classes ? Je dis qu’il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d’autant plus difficile à déraciner que c’est la distinction entre ceux qui on reçu l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue. Or, Messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d’ensemble et de cette confraternité d’idées qui sont la force des vraies démocraties, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école.
📭 17 janvier 2014
L’Être Humain est confronté à deux formes de liberté, différentes mais complémentaires : la liberté intérieure et la liberté extérieure. La liberté intérieure donne sens à la liberté extérieure, mais c’est la liberté extérieure qui donne effectivité à la liberté intérieure. Quelles sont leurs principes, leur importance pour notre épanouissement humain? Peut-on les séparer?
📭 25 avril 2014
Les femmes d’aujourd’hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles commencent à affirmer concrètement leur indépendance; mais ce n’est pas sans peine qu’elles réussissent à vivre intégralement leur condition d’être humain. Élevées par des femmes, au sein d’un monde féminin, leur destinée normale est le mariage qui les subordonne encore pratiquement à l’homme ; le prestige viril est encore loin d’être effacé : il repose encore sur de solides bases économiques et sociales.
Il est donc nécessaire d’étudier avec soin le destin traditionnel de la femme. Comment la femme fait-elle l’apprentissage de sa condition, comment l’éprouve-t-elle, dans quel univers se trouve-t-elle entérinée, quelles évasions lui sont permises, voilà ce que je chercherai à décrire. Alors seulement nous pourrons comprendre quels problèmes se posent aux femmes qui, héritant d’un lourd passé, s’efforcent de forger un avenir nouveau.
Quand j’emploie les mots « femmes » ou « féminin », je ne me réfère évidemment à aucun archétype, à aucune immuable essence ; après la plupart de mes affirmations il faut sous-entendre « dans l’état actuel de l’éducation et des mœurs ». Il ne s’agit pas ici d’énoncer des vérités éternelles mais de décrire le fond commun sur lequel s’élève toute existence féminine singulière.
On ne naît pas femme on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine. C’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin.
📭 12 janvier 2015
Ils ne sont pas morts pour rien. L’extraordinaire mobilisation des Français est une façon de réaffirmer nos propres valeurs civilisationnelles et cela c’est déjà résister à cet Islamisme terroriste. Cet extraordinaire réveil des consciences, la prise de conscience de l’importance de ces valeurs démocratiques de la France républicaine sera une piqure de rappel pour nous souvenir que tous ces droits dont nous jouissons aujourd’hui ont étés conquis au prix du sang. Mais je crois que vouloir un monde plus libre plus fraternel et pouvoir continuer la lutte il faudra plus que le crayon …hélas!
📭 6 avril 2015
Les droits de l’homme en général ne sont pas les privilèges qu’un groupe humain plus ou moins clos revendique par rapport à un autre groupe humain… Le droit de vivre, le droit d’exister et de respirer, le droit à la liberté sont des droits élémentaires qui n’ont ni goût ni saveur, ils vont de soi.
📭 10 avril 2015
- Cela aurait aussi bien pu arriver au cours de la guerre des Deux Roses, dit-il. Lancaster et York, jansénistes et jésuites, girondins et jacobins, darwinisme et lamarckisme, droite et gauche, socialisme et capitalisme, ils ont tous fait l’effet un temps de poteaux indicateurs dans le chaos. Chaque époque a son antinomie particulière qui paraît essentielle jusqu’au moment où l’Histoire passe dessus avec un haussement d’épaule; après quoi les gens se demandent pourquoi ils se sont tellement échauffés.
- Tu veux parler tout simplement, dit Vardi, du mouvement dialectique de la thèse à l’antithèse à la synthèse.
- Au diable la dialectique. Les catholiques ont combattu les protestants pendant des générations, où est la synthèse ? Les grands conflits de l’Histoire se terminent généralement en queue de poisson, sur quoi un nouveau problème surgit, d’un genre tout différent qui absorbe toutes les passions et vide l’ancienne controverse de toute signification… Les gens se sont désintéressés des guerres de religion lorsque la conscience nationale commença de poindre en eux; ils ont cessé de s’énerver à propos de la monarchie et de la république lorsque les problèmes économiques ont pris le pas sur les autres, Nous voici de nouveau dans une impasse jusqu’à ce que se produise une nouvelle mutation de conscience au prochain échelon supérieur, avec un glissement de l’éclairage sur des valeurs tout à fait différentes. Quand cela se produira, les poteaux indicateurs et les cris de guerre de l’âge économique paraîtront aussi anachroniques et ineptes que la question de savoir de quel côté il faut briser un œuf pour laquelle les Lilliputiens se faisaient la guerre…
📭 19 avril 2015
Liberté n’est pas oisiveté; c’est un usage libre du temps, c’est le choix du travail et l’exercice. Être libre en un mot n’est pas ne rien faire, c’est être seul arbitre de ce qu’on fait ou de ce qu’on ne fait point.
📭 29 avril 2015
La vie est éphémère, le fait d’avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel.
📭 30 mai 2015
Le même mode de vie est pour l’une une stimulation salutaire qui entretient au mieux ses facultés d’action et de plaisir, tandis que pour l’autre, c’est un fardeau gênant qui suspend ou détruit toute vie intérieure. Il y a de telles différences entre les êtres humains, dans leurs sources de plaisir et dans leurs façons de souffrir et de ressentir l’effet des diverses influences physiques et morales, que sans une différence correspondante dans leurs modes de vie, ils ne pourront jamais prétendre à leur part de bonheur, ni s’élever à la stature intellectuelle, morale et esthétique dont leur nature est capable.
Pourquoi faudrait-il donc que la tolérance se limite, dans le sentiment public, aux goûts et aux modes de vie qui arrachent l’assentiment par le nombre de leurs adhérents ? Il n’y a personne (si ce n’est dans certaines institutions monastiques) pour nier complètement la diversité des goûts. Une personne peut, sans encourir de blâme, aimer ou ne pas aimer le canotage, la cigarette, la musique, la gymnastique, les échecs, les cartes, ou l’étude, et cela parce que ceux qui aiment ou n’aiment pas toutes ces choses sont trop nombreux pour être réduits au silence. Mais les hommes - et plus encore les femmes - qui peuvent être accusés soit de faire “ce que personne ne fait “, soit de ne pas faire “ce que tout le monde fait”, peuvent se voir tout autant dénigrés que s’ils avaient commis quelque grave délit moral.
📭 18 octobre 2015
Ne perdons pas de temps à chercher ce que nous n’avons pas mais essayons de trouver ce que nous n’avons pas perdu. Amour, santé, un travail (que nous aimons): les trois piliers de notre bonheur.
📭 17 novembre 2015
Trois choses influent sur l’esprit des hommes: le climat, le gouvernement et la religion.
📭 17 février 2016
Les droits de l’homme en général ne sont pas les privilèges qu’un groupe humain plus ou moins clos revendique par rapport à un autre groupe humain… Le droit de vivre, le droit d’exister et de respirer, le droit à la liberté sont des droits élémentaires qui n’ont ni goût ni saveur, ils vont de soi…
📭 16 mars 2016
J’hésite, cependant, à me dire athée, car le mot “Dieu” a peu à peu perdu, pour moi, toute signification. Il me paraît sans objet, et je ne crois pas qu’il y ait lieu de nier ce qui n’est rien.
📭 11 juillet 2016
La vie est éphémère et le savoir est éternel!
📭 23 février 2017
Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Nous avons des réponses physiques, biologiques, anthropologiques, sociologiques, historiques de plus en plus certaines à ces questions. Mais ces réponses n’ouvrent-elles pas des questions beaucoup plus vastes que celles qu’elles renferment ?
Nous sommes dans un univers où sans cesse, par myriades, des étoiles meurent, éclatent, naissent et renaissent. Nous sommes des êtres physiques situés dans le troisième satellite d’un petit soleil de la Voie lactée. Nous sommes les êtres biologiques les plus cérébralement développés du rameau cérébralement le plus développé de l’évolution animale. Nous sommes des humains de l’espèce dite homo sapiens, pour qui le problème, l’énigme, le mystère les plus grands sont sa propre capacité à résoudre les problèmes, dénouer les énigmes, considérer les mystères. Nous sommes parties constitutives, intégrées, autonomes et serves à la fois, de sociétés gigantesques nommées nations. Nous sommes dans le cinquantième millénaire - le cinq millième siècle - du devenir des sociétés humaines, dans le dixième millénaire de l’aventure historique des sociétés-États, et nous allons peut-être aborder le troisième millénaire de l’ère chrétienne occidentale.
Mais nous sommes devenus irrémédiablement perplexes et désorientés sur notre situation dans le monde, depuis que nous avons appris que nous étions dans une petite toupie qui tourne en plein ciel autour d’une boule de feu. Et lorsque nous avons compris que notre soleil était un astre pygmée perdu parmi des milliards d’étoiles, relégué à la périphérie d’une petite galaxie de banlieue, nous avons perdu toute certitude fondamentale sur notre situation, notre destin, notre sens.
📭 25 mars 2017
Il est vrai que l’intime plaisir est finalement le juge et le seul juge, et qu’ainsi le plaisir, ou la joie, ou le bonheur, comme on voudra le nommer, est le seul bien. Seulement, il n’est pas à prendre : il est à faire. Il est vraisemblable que le fond de toutes les utopies politiques soit de vouloir distribuer le plaisir comme on distribue l’eau.
📭 17 juin 2017
Les propos de Trump font montre d’irresponsabilité, d’arrogance. Mais ce n’est pas le premier président américain à essayer de mettre à bas les lois de protection l’environnement. Avant le Sommet de la terre, Bush père a dit “Notre style de vie n’est pas à négocier”, alors que 20 % du public américain consommait 80 % des richesses de la Terre. Le temps est venu de déclarer l’écocide comme crime contre l’humanité.
📭 22 septembre 2017
Le plus petit des actes sera toujours supérieur à la plus grande des pensées.
📭 17 octobre 2017
L’orgueil c’est par rapport aux autres, la fierté c’est par rapport à soi.
📭 11 janvier 2018
Les Dieux n’ont pas révélé toutes choses aux hommes dès le commencement; mais, en cherchant, ceux-ci trouvent avec le temps ce qui est le meilleur.
📭 22 mars 2018
Il n’y a aucune personne, ni aucune église, ni enfin aucun État qui ait le droit, sous prétexte de religion, d’envahir les biens d’un autre, ni de le dépouiller de ses avantages temporels. S’il se trouve quelqu’un qui soit d’un autre avis, je voudrais qu’il pensât au nombre infini de procès et de guerres qu’il exciterait par là dans le monde. Si l’on admet une fois que l’empire est fondé sur la grâce, et que la religion se doit établir par la force et par les armes, on ouvre la porte au vol, au meurtre et à des animosités éternelles, et l’amitié même ne subsistera plus entre les hommes.
📭 31 mars 2018
La tribu des neurosciences a un projet anthropologique, celui de réduire l’homme pensant, sentant et agissant à une partie de lui-même, son cerveau […] Il y a dans notre société un déplacement de la psychanalyse aux neurosciences. Alors que la psychanalyse confronte l’être humain à ses limites et à ses manques, les neurosciences cognitives l’invitent à les dépasser.
📭 13 juin 2018
Si l’injustice fait partie du frottement nécessaire de la machine gouvernementale, alors c’est un fait; il finira bien par s’adoucir à l’usage et la machine s’usera elle aussi certainement. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle, qui lui soit spécifique, alors peut-être qu’il est temps de se demander si le remède ne serait pas pire que le mal ; mais si la nature de cette machine essaye de faire de vous l’agent de l’injustice envers votre prochain, alors, je le dis, brisez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour arrêter la machine. Je dois veiller, à tout prix, à ne pas collaborer au mal que je condamne.
📭 3 octobre 2018
Les connaissances scientifiques nous donnent une nouvelle image de l’être humain. Détrôné de ses prétentions à être le “centre du monde”, il se trouve une nouvelle dignité. Il se situe très haut dans l’échelle des êtres organisés de la nature. Là où l’a conduit cette longue gestation dans laquelle sont impliqués tous les phénomènes cosmiques. Cette dignité, il la partage avec tous ses frères humains, quelle que soit leur origine. Le respect des Droits de l’Homme, c’est aussi la prise de conscience de l’importance de chaque individu dans l’histoire de l’univers.
📭 13 octobre 2018
En 1931, alors que j’écrivais Le Meilleur des Mondes, j’étais convaincu que le temps ne pressait pas encore. La société intégralement organisée, le système scientifique des castes, l’abolition du libre arbitre par conditionnement méthodique, la servitude rendue tolérable par des doses régulières de bonheur chimiquement provoqué, les dogmes orthodoxes enfoncés dans les cervelles pendant le sommeil au moyen des cours de nuit, tout cela approchait, se réaliserait bien sûr, mais ni de mon vivant, ni même du vivant de mes petits-enfants.
J’ai oublié la date exacte des événements rapportés dans ma fable, mais c’était vers le sixième ou septième siècle après F. (après Ford). Nous qui vivions dans le deuxième quart du vingtième siècle après J.-C., nous habitions un univers assez macabre certes, mais enfin le cauchemar de ces années de dépression était radicalement différent de celui, tout futur, décrit dans mon roman. Notre monde était torturé par l’anarchie, le leur, au septième siècle après F., par un excès d’ordre. Le passage de cet extrême à l’autre demanderait du temps, beaucoup de temps à ce que je croyais, ce qui permettrait à un tiers privilégié de la race humaine de tirer le meilleur parti des deux systèmes : celui du libéralisme désordonné et celui du meilleur des mondes, beaucoup trop ordonné, dans lequel l’efficacité parfaite ne laissait place ni à la liberté ni à l’initiative personnelle.
Vingt-sept ans plus tard, dans ce troisième quart du vingtième siècle après J.-C. et bien longtemps avant la fin du premier siècle après F., je suis beaucoup moins optimiste que je l’étais en écrivant Le Meilleur des Mondes. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je ne le pensais. L’intervalle béni entre trop de désordre et trop d’ordre n’a pas commencé et rien n’indique qu’il le fera jamais. En Occident, il est vrai, hommes et femmes jouissent encore dans une appréciable mesure de la liberté individuelle, mais même dans les pays qui ont une longue tradition de gouvernement démocratique, cette liberté, voire le désir de la posséder, paraissent en déclin. Dans le reste du monde, elle a déjà disparu, ou elle est sur le point de le faire. Le cauchemar de l’organisation intégrale que j’avais situé dans le septième siècle après F. a surgi de lointains dont l’éloignement rassurait et nous guette maintenant au premier tournant.
📭 9 janvier 2019
Si tu n’arrives pas à penser: marche. Si tu penses trop: marche. Si tu penses mal: marche.
📭 27 février 2019
Libérer la femme implique un changement des structures, et des rapports économiques. Mais aussi un changement dans la forme «mâle» du pouvoir. Et même - c’est la pierre de touche de ce combat - une révolution des mentalités. Un monde à changer dans son «commerce», dans sa relation, dans sa culture. L’homme devra réapprendre à vivre. L’homme nouveau sera libre, car il ne sera plus en situation d’oppresseur. De même qu’un pays qui en opprime un autre n’est pas un pays libre, un homme ne pourra se réclamer de la liberté que si la femme en jouit, à part entière, comme lui. L’homme, du même coup, est débarrassé de son carcan : l’obligation d’être à la hauteur de l’image dominante. Il pourra jeter bas les masques. Et oublier les fatigues de la virilité triomphante, mythe boomerang…
Il pourra naître entre la femme et l’homme une nouvelle approche, une nouvelle relation. Tout aura changé en fait : la sexualité, le partage des tâches, le langage. Une autre manière d’appréhender la vie. Un partage juste et responsable entre deux égales libertés.
Révolution des femmes ? Je ne crois pas. Mais les femmes, aile marchante d’une nouvelle révolution, oui ! A coup sûr, oui !…
📭 9 avril 2019
Il arrive que les mots doivent servir à déguiser les faits. Mais cela doit se faire de telle façon que personne ne s’en aperçoive; ou, si cela venait à se remarquer, il faut avoir toutes prêtes des excuses que l’on peut sortir sur-le-champ.
📭 1 mai 2019
Pourquoi met-on si fortement l’imagination de l’enfant en jeu, si difficilement celle de l’homme en fait ? C’est que l’enfant à chaque mot, recherche l’image, l’idée. Il regarde dans sa tête. L’homme fait a l’habitude de cette monnaie; une longue période n’est plus pour lui qu’une série de vieilles impressions, un calcul d’additions, de soustractions, un art combinatoire, les comptes faits de Barème (sic). De là vient la rapidité de la conversation, où tout s’expédie par formules, comme à l’Académie, où comme à la halle où l’on n’attache les yeux sur une pièce que quand on en suspecte la valeur, cas rares de choses inouïes, non vues, rarement aperçues, rapports subtils d’idées, images singulières et neuves.
Il faut alors recourir à la nature, au premier modèle, à la première voie d’institutions. De là, le plaisir des ouvrages originaux, la fatigue des livres qui font penser, la difficulté d’intéresser soit en parlant, soit en écrivant. Si je vous parle du Clair de Lune de Vernet dans les premiers jours de septembre, je pense bien qu’à ces mots vous vous rappellerez quelques traits principaux du tableau. Mais vous ne tarderez pas à vous dispenser de cette fatigue ; et bientôt vous approuverez l’éloge ou la critique que j’en ferai, que d’après la mémoire de la sensation que vous en avez primitivement éprouvée. Et ainsi de tous les morceaux de peinture du Salon, et de tous les objets de la nature.
Qui sont donc les hommes les plus faciles à émouvoir, à troubler, à tromper peut-être, ce sont ceux qui sont restés enfants et à qui l’habitude des signes n’a point ôté la facilité de se représenter les choses.
📭 29 Novembre 2019
S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’Etat aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle au sens propre l’”anarchie”. La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’Etat, - cela ne fait aucun doute - mais elle est son moyen spécifique.
De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre, il faut concevoir l’Etat contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c’est qu’elle n’accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’Etat le tolère : celui-ci passe donc pour l’unique source du “droit” à la violence.
📭 13 janvier 2020
La diversité des individus qu’engendre la reproduction sexuelle dans les populations humaines est rarement prise pour ce qu’elle est : l’un des principaux moteurs de l’évolution, un phénomène naturel sans lequel nous ne serions pas de ce monde. […]
Par une singulière équivoque, on cherche à confondre deux notions pourtant bien distinctes : l’identité et l’égalité. L’une se réfère aux qualités physiques ou mentales des individus; l’autre à leurs droits sociaux et juridiques. La première relève de la biologie et de l’éducation; la seconde de la morale et de la politique. L’égalité n’est pas un concept biologique. On ne dit pas que deux molécules ou deux cellules sont égales. Ni même deux animaux, comme l’a rappelé George Orwell [Dans la République des animaux, allégorie inspirée de Swift, il s’en prend au régime de dictature prolétarienne, où « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». ].
C’est bien sûr l’aspect social et politique qui est l’enjeu de ce débat, soit qu’on veuille fonder l’égalité sur l’identité, soit que, préférant l’inégalité, on veuille la justifier par la diversité. Comme si l’égalité n’avait pas été inventée précisément parce que les êtres humains ne sont pas identiques. S’ils étaient tous aussi semblables que des jumeaux univitellins (monozygotes), la notion d’égalité n’aurait aucun intérêt. Ce qui lui donne sa valeur et son importance, c’est la diversité des individus; ce sont leurs différences dans les domaines les plus variés. La diversité est l’une des grandes règles du jeu biologique. Au fil des générations, ces gènes qui forment le patrimoine de l’espèce s’unissent et se séparent pour produire ces combinaisons chaque fois éphémères et chaque fois différentes que sont les individus. Et cette diversité, cette combinaison infinie qui rend unique chacun de nous, on ne peut la surestimer. C’est elle qui fait la richesse de l’espèce et lui donne ses potentialités. […] Chez les êtres humains, la diversité naturelle est encore renforcée par la diversité culturelle qui permet à l’humanité de mieux s’adapter à des conditions de vie variées et à mieux utiliser les ressources de ce monde.
📭 24 janvier 2020
La maladie est le rappel à l’être humain de sa fragilité. Le droit à la santé devrait être reconnu comme un droit naturel. Pour tous. Quelle que soit la situation professionnelle ou sociale: il n’est pas dans la justice des choses que le traitement social de la maladie diffère des artisans établis à leur compte aux salariés et aux patrons d’entreprise; de ceux qui ne travaillent plus depuis un certain temps, ou qui n’ont jamais travaillé et qu’on dit “en fin de droits” ou en “absence de droits”, à ceux qui travaillent.
Tout cela ne manque pas de créer des problèmes, particulièrement d’ordre budgétaire, et l’effort de maîtrise des dépenses de santé, engagé depuis plusieurs années par les autorités publiques et l’ensemble du corps médical, demeure une nécessité. Cependant, cette contrainte ne doit pas faire oublier ce qui doit être considéré comme une priorité : l’amélioration de la qualité des soins et des services rendus aux malades. Faut-il refuser toute dépense nouvelle, même si celle-ci doit permettre une amélioration substantielle de l’état de santé des Français ? Les contraintes budgétaires qui, à l’évidence, s’imposent à nous ne peuvent tenir lieu à elles seules de politique de santé.
📭 12 avril 2020
Faire rire c’est faire oublier.
📭 22 avril 2020
Qu’est-ce-que l’humanité de l’homme? Partout où nous avons des hommes, nous avons en même temps, toute une série de plans à la fois distincts et solidaires : des outils, toutes les techniques de subsistance, de production et d’échange, tout ce qui constitue la vie matérielle. Pas d’hommes sans outillage, mais pas d’hommes non plus, à côté des outils et techniques, sans langage. Donc tout ce qui est mode d’expression verbale, orale ou écrite, va faire partie de ce champ énorme.
Et ce n’est pas tout. C’est qu’il n’y a pas d’hommes non plus, sans institutions sociales, depuis les règles du mariage et de la vie domestique jusqu’aux institutions proprement sociales et politiques, et que tout ça, ça commence à faire des séries d’étages : les techniques, l’économie, les institutions et puis la religion. Il n’y a pas d’hommes sans qu’il y ait des institutions religieuses, à la fois des rituels, des récits (ça rejoint le problème du langage), de ce qu’on appelle en gros le mythe, des représentations figurées, des présentifications du divin, donner un corps si je peux dire au divin (avec Augé nous nous sommes attelés à ce problème autrefois).
Et puis il n’y a pas d’hommes sans qu’il y ait toutes les formes que nous appelons l’art, les images, les représentations, la poésie, la musique, la danse. Et il n’y a pas non plus d’histoire humaine qui ne fasse une certaine place à partir d’un certain moment, à des savoirs, et qui par conséquent à côté des techniques n’essaye de théoriser ces techniques où même de faire quelque chose qui est de la pure recherche. Tous ces plans sont étagés, c’est cela que regarde l’anthropologue, qu’il s’agisse des Grecs, des Indiens, des Chinois où des Africains. Il se trouve devant un champ qui à cet égard, revêt partout le même aspect.
📭 25 avril 2020
La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons. Pareille attitude est dans la logique d’un système qui, reposant sur le postulat de l’égalité formelle de tous les enseignés, condition de son fonctionnement, ne peut reconnaître d’autres inégalités que celles qui tiennent aux dons individuels.
Qu’il s’agisse de l’enseignement proprement dit ou de la sélection, le professeur ne connaît que des enseignés égaux en droits et en devoirs : si, au cours de l’année scolaire, il lui arrive d’adapter son enseignement à certains, c’est aux « moins doués » qu’il s’adresse et non aux plus défavorisés par leur origine sociale; de même si, le jour de l’examen, il prend en compte la situation sociale de tel candidat, ce n’est pas qu’il le perçoive comme membre d’une catégorie sociale défavorisée, c’est au contraire qu’il lui accorde l’intérêt d’exception que mérite un cas social.
📭 26 avril 2020
Les progrès de la compréhension de notre espèce ont totalement bouleversé les anciennes représentations de nous-mêmes, tant sur le plan individuel que collectif. Nous sommes passés des visions traditionnelles de l’Homme, principalement issues des religions, à un Homme désacralisé, naturalisé, corporalisé, matérialisé, dé-essentialisé, animalisé, relativisé, biologisé, neurologisé, sans dieu, autonomisé, absurdisé, sans destin et désormais seul responsable de son devenir. Cette révolution anthropologique est comparable à la révolution copernicienne. Toute idée de l’Homme doit désormais être repensée à partir de ces nouveaux fondamentaux qui constituent la nature humaine, donc ce que nous sommes tout un chacun.
📭 1 mai 2020
Certes, l’épidémie s’inscrit dans le temps long; certes, le petit coronavirus vient chambouler notre perception (nous avons perdu la notion du temps jusqu’à ne plus savoir quel jour on est); certes, notre rapport à l’espace s’en trouve perturbé également puisque le virus nous confine dans un espace réduit, que notre ligne d’univers individuelle s’en trouve ratatinée de façon drastique et que même si chacun est chez soi, presque plus personne ne sait où il habite.
Mais comme ce que nous vivons actuellement est fait de paradoxes, nous sommes en même temps en train de retrouver précisément cette pensée du temps long. N’en étions-nous pas restés à l’idée d’effondrement, de fin des temps? En seulement quelques semaines, par un effet paradoxal de la catastrophe en cours, la flèche du temps s’est donc renversée: alors même que de multiples effondrements sont en cours, l’idée qu’il y aura demain un monde, éventuellement autre que celui d’avant, a remplacé l’idée de fin du monde!
📭 2 mai 2020
Quand ils parlent de nous, les médecins disent: «mes» malades. Nous leur appartenons en effet et si bien qu’il faut beaucoup d’audace, lorsqu’on a «son» médecin, pour oser en changer. Parfois, sans malice, l’un d’eux laisse échapper : «J’ai un client qui..» Il arrive aussi que nous soyons désignés, mais de préférence hors de notre présence, par le nom de l’affection dont nous souffrons: «J’ai en ce moment un diabétique, ou un tuberculeux, qui ne va pas fort.» A la limite, c’est l’organe lui-même qui prend notre place: «Dans mon service, il y a un rein…»; et même: «Il m’est rentré une belle tumeur hier soir.» Et on peut, chez tel chirurgien en renom, boire au dîner un excellent vin dont le maître de maison indique volontiers à ses invités : «Celui-là, c’est ma dernière vésicule.»
Aucun de ces termes ou de ces choix n’est tout à fait innocent, aucun n’est vraiment satisfaisant. Client, cela sonne comme si la médecine était un commerce, et elle l’est d’ailleurs à sa manière mais il ne faut pas le dire. Nommer la maladie, l’organe atteint, l’anomalie, cela peut être imprudent si l’intéressé est censé ne pas savoir; et puis, à quoi bon lui rappeler sans cesse de quoi et d’où il souffre, il ne le sait que trop. A l’hôpital, parler du numéro vingt-trois ou du fémur du trente-deux, c’est démoralisant. Il fallait trouver autre chose: un terme assez vague pour recouvrir tous les degrés et toutes les formes de désordres, assez feutré pour être accepté et dont la connotation soit plutôt de nature optimiste, réconfortante, engageante. On a vu alors apparaître dans le langage courant la traduction littérale du terme américain doctor’s patients («les clients du docteur») adopté d’enthousiasme bien qu’il n’ait pas en français le même sens, et c’est ainsi que nous sommes devenus des patients.
Ah ! Patients, oui, nous le sommes! Le mot dit tout. Il nous intime d’avoir à prendre patience: ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Après, nous serons guéris. Ou morts, mais de toute façon ce sera terminé. Nous appeler des patients, c’est aussi reconnaître implicitement qu’on use et parfois abuse de notre endurance, de notre persévérance, de notre résignation. Patienter, prendre patience, s’armer de patience, cela se conjugue. Laisser faire, se contenir, s’accoutumer, attendre, durer, accepter: on n’en finirait pas de recenser les analogies!
📭 5 mai 2020
Tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir, soit parce qu’il le considère comme un moyen au service d’autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu’il le désire “pour lui-même” en vue de jouir du sentiment de prestige qu’il confère.
📭 11 mai 2020
Dans l’existence humaine, nous voyons les actions des autres, les comportements des autres, l’expression des émotions des autres. Mais en raison de notre isolement ontologique, leurs mobiles, leurs raisons, leurs cheminements intérieurs qui aboutissent à l’action, ne nous sont pas directement discernables. Ce qui rend cela d’autant plus difficile à comprendre, et qui va à l’encontre de nos fonctionnements spontanés et intuitifs, c’est qu’il y a toujours une pluralité de chemins possible menant à une décision, à une action.
📭 15 mai 2020
Quitter sa maison, ôter carapace et armure, s’extraire du brouillard égotique, c’est nous découvrir citoyens d’un monde bien plus grand. C’est prêter l’oreille, tendre la main et activement éradiquer les injustices qui entachent notre humanité. Face à l’immensité de la tâche, il y a mille raisons, mille prétextes de baisser les bras et d’écouter les Cassandre de tout poil. Mais à y regarder de près, si la nature obéit à des lois, si une solidarité ontologique unit tous les êtres, il s’agit sans tarder d’oser une véritable conversion, de mettre la main à la pâte, d’incarner avec les moyens du bord l’appel du bodhisattva.
A l’heure d’assouplir la distance sociale, appliquer à la lettre les gestes-barrière, par amour, par solidarité, voilà le défi! Osons aussi un déconfinement intérieur pour nous engager à fond dans cette immense policlinique où il s’agit de prendre soin les uns des autres, très concrètement.
📭 6 juin 2020
Les enfants ont déjà de leur âme l’imagination et la mémoire, c’est-à-dire ce que les vieillards n’ont plus, et ils en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et pour tous leurs amusements: c’est par elles qu’ils répètent ce qu’ils ont entendu dire, qu’ils contrefont ce qu’ils ont vu faire, qu’ils sont de tous métiers, soit qu’ils s’occupent en effet à mille petits ouvrages, soit qu’ils imitent les divers artisans par le mouvement et par le geste; qu’ils se trouvent à un grand festin, et y font bonne chère; qu’ils se transportent dans des palais et dans des lieux enchantés; que bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un grand cortège; qu’ils conduisent des armées, livrent bataille, et jouissent du plaisir de la victoire; qu’ils parlent aux rois et aux plus grands princes; qu’ils sont rois eux-mêmes, ont des sujets, possèdent des trésors, qu’ils peuvent faire de feuilles d’arbres ou de grains de sable; et, ce qu’ils ignorent dans la suite de leur vie, savent à cet âge être les arbitres de leur fortune, et les maintes de leur propre félicité.
📭 30 juin 2020
Comment la vie peut-elle être vivable si elle ne trouve un repos dans la bienveillance mutuelle d’un ami? Quoi de plus doux que d’avoir quelqu’un à qui l’on ose parler comme à soi-même? Quel grand fruit tireriez-vous de la prospérité si vous n’aviez quelqu’un qui s’en réjouît autant que vous même? L’adversité serait difficile à supporter si vous n’aviez quelqu’un qui s’en affligeât plus encore que vous? Enfin, les autres biens que l’on recherche ne présentent guère qu’un avantage particulier: les richesses se dépensent; l’influence donne la considération; les honneurs procurent des louanges; les plaisirs font qu’on en jouit; la santé exempte de la douleur et permet de se servir librement du corps; mais l’amitié contient un grand nombre de biens. De quelque côté qu’on se tourne, elle est là; elle n’est exclue d’aucun lieu; jamais elle n’est intempestive, jamais ennuyeuse; aussi, comme on dit, on ne se sert pas plus souvent de l’eau et du feu que de l’amitié. Et je ne parle pas en ce moment de l’amitié vulgaire et ordinaire, qui a pourtant elle-même son charme et ses avantages; je parle de la vraie, de la parfaite amitié, telle que fut celle du petit nombre d’amis que l’on cite. L’amitié rend la bonne fortune plus brillante; elle allège l’adversité parce qu’elle la partage et qu’elle y fait prendre part.
L’amitié renferme donc des avantages très nombreux et très considérables; mais il en est un par lequel elle l’emporte sur tout: c’est qu’elle fait briller à nos yeux un doux espoir pour l’avenir et ne laisse pas les âmes s’affaiblir et tomber. Car celui qui considère un ami véritable, voit en lui comme sa propre image. Aussi la mort des uns paraît heureuse; la vie des autres, digne d’éloges. Supprimez du monde les rapports de bienveillance: aucune maison, aucune ville ne pourra rester debout; l’agriculture elle-même ne subsistera point. Si on ne le comprend pas, on peut juger de la puissance de l’amitié par celle des dissensions et des discordes.
📭 26 octobre 2020
Mais les êtres humains possèdent des attributs qu’ils ne partagent, semble-t-il, avec aucune créature vivante. Nous avons une curiosité insatiable et une fantastique ingéniosité. Il y a des milliers d’années, nous avons élaboré un langage complexe, grâce auquel nous pouvons énoncer des idées abstraites et les communiquer à nos semblables. Chacun de nous peut maîtriser ses propres pensées, mais aussi celles d’autrui. Une communauté peut ainsi regrouper ses idées et son savoir.
Par la suite, nous avons inventé un système d’écriture permettant de conserver le souvenir de la parole, de telle sorte que nos pensées et nos réflexions peuvent franchir les années et les kilomètres pour toucher des communautés très éloignées de la nôtre géographiquement parlant ou des générations encore à venir. L’ensemble de la connaissance et des idées finit par devenir mondial et permanent, et le jour vint où chaque individu eut à sa disposition l’acquis de tous ceux qui partagent le monde avec nous et de tous ceux qui ont précédés.
La connaissance se développa, lentement dans un premier temps, puis à un rythme fabuleux, et l’horizon des hommes recula de tous côtés. Nous parcourons la planète d’un pôle à l’autre. Nous escaladons les plus hautes montagnes et descendons dans les mers les plus profondes, nous nous posons sur la Lune et envoyons au-delà de Saturne des véhicules qui nous racontent ce qu’ils voient. Nous découvrons et étudions avec la même facilité l’étoile la plus grande et l’atome le plus infime, et nous manions des concepts aussi désarmants que les trous noirs ou les quarks. Nous abordons des températures rivalisant avec celles qui règnent au coeur des étoiles les plus chaudes et entrevoyons les confins les plus reculés de l’espace.
Je m’efforcerai dans cet ouvrage de vous présenter les étapes de cette connaissance et de vous narrer le récit de l’aventure de l’exploration dans laquelle s’est lancée notre espèce et dont nous sommes redevables – sans oublier toutefois de donner un bref aperçu du chemin qu’il nous faut encore parcourir.
📭 13 novembre 2020
Le problème essentiel pour l’espèce humaine, celui que la nature contraint l’homme à résoudre, c’est la réalisation d’une Société civile administrant le droit de façon universelle. Ce n’est que dans la société, et plus précisément dans celle où l’on trouve le maximum de liberté, par là même un antagonisme général entre les membres qui la composent, et où pourtant l’on rencontre aussi le maximum de détermination et de garantie pour les limites de cette liberté, afin qu’elle soit compatible avec celle d’autrui ; ce n’est que dans une telle société, disons-nous, que la nature peut réaliser son dessein suprême, c’est-à-dire le plein épanouissement de toutes ses dispositions dans le cadre de l’humanité.
Mais la nature exige aussi que l’humanité soit obligée de réaliser par ses propres ressources ce dessein, de même que toutes les autres fins de sa destination. Par conséquent une société dans laquelle la liberté soumise à des lois extérieures se trouvera liée au plus haut degré possible à une puissance irrésistible, c’est-à-dire une organisation civile d’une équité parfaite, doit être pour l’espèce humaine la tâche suprême de la nature. Car la nature, en ce qui concerne notre espèce, ne peut atteindre ses autres desseins qu’après avoir résolu et réalisé cette tâche.
C’est la détresse qui force l’homme, d’ordinaire si épris d’une liberté sans bornes, à entrer dans un tel état de contrainte, et, à vrai dire, c’est la pire des détresses : à savoir, celle que les hommes s’infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres dans l’état de liberté sans frein […]
📭 24 janvier 2021
L’oubli est le seul espace où les événements s’éternisent. La mémoire est la faculté la plus précaire que nous ayons. Et, pourtant, c’est en elle seule que le passé joue son avenir.
📭 28 mars 2021
Les cheminements actuels de la science, qu’il s’agisse des mathématiques ou de l’astronomie (je ne les connais que superficiellement), nous mènent effectivement vers un monde plus incertain et plus instable. Là encore, ils rompent fondamentalement avec ce besoin des civilisations traditionnelles d’avoir un monde où tout est à sa place, les anges en haut; les démons en bas, et, entre les deux, les hommes. Ce monde-là non seulement s’écroule, mais il éclate, il est remplacé par les principes d’incertitude de la physique moderne, qui sont en totale opposition avec l’image rassurante, cohérente, d’un univers à la fois différencié, subtil, mais rigoureusement clos. L’idée d’un univers infini, par exemple, n’est pas incompatible avec les principes de la théologie, à l’inverse d’un univers en expansion, dont on ne peut atteindre ni localiser les limites. De plus, notre Terre perd le privilège insigne d’être la propriété exclusive de Dieu. Un univers créé par Dieu ne peut qu’être ordonné et fini.
Le but de la théologie a toujours été d’instruire le procès du désordre, du chaos et de l’anarchie, que ce soit dans le ciel, dans l’âme ou sur la Terre. Aujourd’hui, l’homme est en train de défaire, comme on se démaillote, les liens qui le reliaient au monde et qui le protégeaient, qui l’enserraient en fait sans qu’il en soit conscient. je me demande d’ailleurs si nous ne sommes pas en train de devenir enfin des adultes cosmiques. Cette notion est difficile à définir. Être un adulte cosmique, c’est affronter l’anonymat et l’infini du monde sans parapets mythiques, sans garde-fou théologique, affronter le nouveau réel qui nous est proposé, un réel géré par les concepts d’instabilité, d’incertitude, d’aléatoire, un monde où il nous faut trouver et réinventer notre place, et non l’attendre de quelque création, révélation ou incarnation divine.
📭 6 mai 2021
C’est un état bien singulier que celui du rêve. Aucun philosophe que je connaisse n’a encore assigné la vraie différence de la veille et du rêve. Veillé-je, quand je crois rêver ? rêvé-je, quand je crois veiller ? qui m’a dit que le voile ne se déchirerait pas un jour, et que je ne resterai pas convaincu que j’ai rêvé tout ce que j’ai fait, et fait réellement tout ce que j’ai rêvé. Les eaux, les arbres, les forêts que j’ai vus en nature m’ont certainement fait une impression moins forte que les mêmes objets en rêve.
📭 7 mai 2021
La confiance est donc nécessaire à toute vie sociale, et plus encore pour les sociétés démocratiques, qui s’organisent autour des progrès de la connaissance et de la division du travail intellectuel. En effet, à mesure de la production de cette connaissance, la part de ce que chacun peut espérer maîtriser de cette compétence commune diminue. Plus l’on sait de choses, moins la part de ce que je sais est proportionnellement importante.
Nul n’ignore que si un individu, il y a quelques siècles, pouvait espérer maîtriser l’ensemble des connaissances scientifiques, ce serait inenvisageable aujourd’hui. Cela signifie qu’une société fondée sur le progrès de la connaissance devient, paradoxalement, une société de la croyance par délégation, et donc de la confiance, ce qu’avait compris Tocqueville en son temps (De la démocratie en Amérique, 1835) : “Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable”. Désirable, sans doute, car on n’imagine pas qu’un monde où chacun vérifierait frénétiquement toute information pourrait survivre longtemps. Néanmoins, il existe des conditions sociales où ce processus de confiance est altéré […].
Nous ne semblons pas au bord d’une guerre civile, mais dans tous les domaines, la contestation de l’autorité, de la parole officielle, et la méfiance dans les conclusions des experts sont tangibles.
📭 16 décembre 2021
Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les coeurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ?
📭 25 avril 2022
C’est nous qui passons quand nous disons que le temps passe ; c’est le mouvement en avant de notre vision qui actualise, moment par moment, une histoire virtuellement donnée tout entière.
📭 1 mai 2022
Le souvenir de la jeunesse est tendre dans les vieillards: ils aiment les lieux où ils l’ont passée; les personnes qu’ils ont commencé de connaître dans ce temps leur sont chères: ils affectent quelques mots du premier langage qu’ils ont parlé; ils tiennent pour l’ancienne manière de chanter, et pour la vieille danse; ils vantent les modes qui régnaient alors dans les habits, les meubles et les équipages. Ils ne peuvent encore désapprouver des choses qui servaient à leurs passions, qui étaient si utiles à leurs plaisirs, et qui en rappellent la mémoire. Comment pourraient-ils leur préférer de nouveaux usages, et des modes toutes récentes où ils n’ont nulle part, dont ils n’espèrent rien, que les jeunes gens ont faites, et dont ils tirent à leur tour de si grands avantages contre la vieillesse?
📭 21 mai 2022
Je prends tout doucement les hommes comme ils sont. J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font.
📭 2 février 2023
PHILINTE Vous voulez un grand mal à la nature humaine
ALCESTE Oui, j’ai conçu pour elle une effroyable haine.
PHILINTE Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion ? Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes…
ALCESTE Non, elle est générale, et je hais tous les hommes : Les uns parce qu’ils sont méchants et malfaisants, Et les autres pour être aux méchants complaisants, Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. De cette complaisance on voit l’injuste excès Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès ; Au travers de son masque on voit à plein le traître Partout il est connu pour tout ce qu’il peut être, Et ses roulements d’yeux et son ton radouci N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici. On sait que ce pied plat(1), digne qu’on le confonde [ce gueux], Par de sales emplois s’est poussé dans le monde, Et que par eux son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite et rougir la vertu. Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne, Son misérable honneur ne voit pour lui personne ; Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit, Tout le monde en convient et nul n’y contredit. Cependant sa grimace est partout bien venue ; On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue, Et, s’il est, par la [intrigue] un rang à disputer, Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter. Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures De voir qu’avec le vice on garde des mesures ; Et parfois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l’approche des humains.